Le Luxembourg est le premier pays à rendre les transports gratuits pour tous-tes, sur tous les modes, et sur l’intégralité de son territoire.
Nous avons rassemblé ici des résultats de nos recherches sur la mise en oeuvre de la gratuité des transports au Luxembourg, leur gestion et leur gouvernance. Nous répondons aussi aux questions les plus fréquentes sur la gratuité au Luxembourg.
La gratuité des transports publics au Luxembourg a été défendue par plusieurs partis politiques, plutôt aux marges du débat politique, depuis au moins les années 1990, mais est vraiment apparue comme une idée partagée par la majorité des partis dans la campagne pour les élections législatives de 2018 (presque tous, sauf le parti conservateur/chrétien-démocrate). C’est la coalition entre les sociaux-démocrates, écologistes, et libéraux, reconduite en 2018 à l’issue des élections, qui a décidé d’ajouter la mesure à son programme gouvernemental.
Pendant la campagne, les arguments qui ont été avancés sont assez classiques : la gratuité était présentée comme une mesure durable, qui allait permettre d’attirer les utilisateurs et utilisatrices de la voiture vers les transports en commun. Cela dit, ce n’était pas tout à fait la position des écologistes, qui tenaient une position plus réaliste, arguant qu’il fallait améliorer le service et investir dans le réseau avant de le rendre gratuit. A l’inverse, certains partis défendaient l’idée de permettre à chacun et chacune de faire leurs propres choix en termes de mobilité, et que rendre les transports publics gratuits allait renforcer leur compétitivité par rapport à la voiture.
La gratuité était aussi présentée comme une mesure sociale, de redistribution financière, qui allait permettre aux plus pauvres de se déplacer plus facilement. Mais c’était aussi une idée électoraliste du parti libéral, qui l’avaient érigé en mesure phare de leur programme. Ils parlaient aussi de la gratuité comme un moyen de faciliter le fonctionnement des transports et de permettre de réduire leur coûts.
Finalement, la gratuité a permis au gouvernement de promouvoir l’image du Luxembourg à l’international, comme pays de mobilité durable (plutôt que pays d’évasion fiscale) et de se positionner, internationalement, comme pays modèle à ce niveau.
D’abord, la décision a été prise lors des négociations pour former un gouvernement, par des partis qui avaient, à ce moment-là, des visions plutôt proches sur le sujet, et souhaitaient tous que les transports publics soient gratuits à plus ou moins long terme. Donc ça a été une décision prise au niveau national dans un pays où il n’y a que deux niveau de pouvoir (local et national), et que cinq réseaux majeurs de transports publics au Luxembourg. Ceux-ci sont soit gérés par le national, soit par des municipalités, avec une aide financière de l’Etat. Le faible nombre de niveaux de pouvoirs et de réseaux a facilité les choses.
Ensuite, la tarification des différents réseaux était déjà intégrée depuis les années 1990, c’est-à-dire que les prix étaient identiques sur tous les réseaux. Enfin, les prix étaient assez bas (2€ pour 2h, 4€ pour la journée, sur tout le réseau national) et les recettes des tickets et abonnements ne représentaient que 8% du budget opérationnel global, soit 40 millions d’euros. C’est un budget vraiment négligeable pour un gouvernement national, et donc il n’y avait pas d’obstacle financier à la gratuité. Une fois que la décision a été prise au niveau du gouvernement, les différentes administrations se sont contentées de l’appliquer.
En 2019, les tarifs étaient plutôt bas et les recettes des tickets et abonnements ne représentaient que 8% du budget opérationnel global.
Le gouvernement a rencontré peu d’obstacles avant de mettre en place la gratuité. ll y a eu quelques freins dans certains partis politiques, et des inquiétudes au niveau des syndicats des travailleurs-euses des transports, sur deux sujets. D’abord, une petite panique que la gratuité allait conduire à une “dévaluation” des transports publics: certaines personnes imaginaient l’idée que “tout le monde” allait les utiliser pour faire n’importe quoi, qu’il y aurait une augmentation des incivilités, en pointant du doigt les personnes sans-abri et les usagers de drogue. Les syndicats se sont aussi inquiétés de possibles licenciements des contrôleurs dans les trains, mais ils sont finalement restés, avec des missions un peu différentes.
Enfin, cela a aussi été difficile de négocier le prix des trajets transfrontaliers avec les pays voisins. Finalement, ce prix a diminué de sa part luxembourgeoise, mais certains réseaux étrangers voulaient conserver un prix du ticket identique, ce qui leur aurait permis de collecter plus de recettes.
La gratuité des transports s’arrête aux frontières du pays, ce qui fait que les travailleurs-eures transfrontaliers-ères, déjà désavantagé-es par des trajets plus longs, doivent tout de même payer pour une partie de leur trajet.
Ensuite, la gratuité ne s’est pas accompagnée d’un large débat sur la politique de mobilité, qui reste confiné aux acteurs étatiques et quelques associations invitées. Les initiatives de politiques de participation, qui ont existé sur le nouveau plan des bus régionaux par exemple, restent d’ordre cosmétique.
La gratuité des transports publics est avant tout une mesure sociale et redistributive.
A ce stade, il est encore impossible de dire si la gratuité a eu un impact sur la fréquentation des transports publics au Luxembourg, ou même si elle a encouragé ou impacté le report modal de la voiture vers les transports publics, pour plusieurs raisons. Premièrement, la gratuité des transports publics a été mise en place le 1er mars 2020, deux semaines avant les premiers confinements liés à la pandémie de COVID-19, et le télétravail a sans doute changé les déplacements quotidiens. Deuxièmement, les investissements et changements réguliers au réseau (extension de la ligne de tram, refontes successives des réseaux de bus, amélioration de la flotte de bus…) font qu’il y a d’autres raisons qui pourraient influencer la fréquentation. Troisièmement, la population luxembourgeoise et le nombre de travailleurs-euses transfrontaliers-ères est en constante augmentation, ce qui a aussi des effets sur la congestion automobile, et donc l’inclination à se déporter de la voiture. Il est donc impossible d’isoler « l’effet gratuité » de tous ces autres facteurs.
En fait, la gratuité des transports publics est avant tout une mesure sociale et redistributive, dont le principal avantage est de simplifier et d’ouvrir l’accès aux transports publics aux pauvres et aux classes précaires et populaires. Si l’objectif est d’influencer le partage modal (le proportion de personnes qui utilisent un mode de transport, par ex. la voiture, le bus, le vélo, etc) et de diminuer l’utilisation de la voiture, la gratuité ne peut pas être une mesure isolée. Elle doit s’accompagner d’une amélioration radicale de l’offre de transports publics et d’une augmentation, radicale elle aussi, des obstacles à l’utilisation de la voiture (tout en gardant en tête les implications socio-économiques de tels obstacles). Des mesures structurelles sont nécessaires, comme repenser l’aménagement du territoire et arrêter la péri-urbanisation, ou même repenser le modèle économique capitaliste.
La gratuité s’est greffée à des politiques de mobilité existantes. Depuis le milieu des années 2000, le gouvernement luxembourgeois investit dans les transports publics, avec des plans de plus en plus ambitieux à chaque législature, pour augmenter la capacité et améliorer le service des réseaux de transport. En fait, il faut rattraper des années de sous-investissement et adapter les transports publics à une population en constante augmentation. La gratuité s’est ajoutée à ces plans et a été utilisée par le ministre de la mobilité pour tenter d’attirer l’attention, à l’intérieur du Luxembourg et à l’international, sur le fait que le Luxembourg investit beaucoup.
Les investissements se font surtout dans les infrastructures: nouveau réseau de tram à Luxembourg-ville, tram rapide entre Luxembourg et Esch-sur-Alzette, rénovation du réseau ferré et dédoublement de la ligne de train vers la frontière française, construction de parking-relais aux gares principales, etc. Mais il y a aussi régulièrement des changements au niveau des réseaux de bus (refonte du réseau régional en 2022, ajouts de lignes transfrontalières), et des achats de nouveaux véhicules, électriques notamment.
Cependant, les investissements continuent aussi sur le réseau routier, avec l’ajout d’une bande de circulation aux autoroutes, qui serait dédiée au covoiturage pendant les heures de pointe. Ce n’est pas forcément positif: toute amélioration de la capacité routière attire du trafic automobile supplémentaire (le trafic induit).
A part quelques gares situées aux frontières, les transports de l’autre côté des frontières sont toujours payants, même si leur prix a diminué depuis la gratuité. Pour qu’ils soient gratuits, il faudrait une décision politique en Belgique, en France, ou en Allemagne, à un ou plusieurs niveaux de pouvoir selon les cas (par ex. au niveau régional en France pour les TER, mais ce serait sans doute à négocier avec le siège de la SNCF à Paris). Au niveau de la Grande Région, cet espace qui réunit Wallonie, Lorraine, la Sarre, la Rhénanie-Palatinat et le Luxembourg, la gratuité des transports reste à l’état de déclarations d’intention. Au niveau local ou régional, des initiatives sont parfois annoncées, mais prennent du temps (Cattenom) ou sont annulées sur des arguments budgétaires (Wallonie).
Les investissements réalisés au Luxembourg, ainsi que la gratuité, profitent aux frontaliers-ères pour la dernière partie de leur trajet. Dans les autres pays, où il faut aussi rattraper des années de sous-investissement structurel dans les transports publics, le Luxembourg participe ponctuellement au financement de projets. De plus en plus, des voix se font entendre pour avoir une vraie coopération transfrontalière sur les politiques de mobilité, et rendre cette participation structurelle. Comme les frontaliers-ères payent leurs impôts là où ils travaillent, les autorités des pays frontaliers disposent de moins de ressources (sauf en Belgique où il existe un accord de rétrocession fiscale). En particulier, il faudrait plus de parkings de délestage proches du point de départ, au lieu de les installer au Luxembourg, après que les navetteurs ont fait le plus gros de leur trajet.
En fait, le problème du travail transfrontalier est dû à deux causes principales : la forte croissance économique du Luxembourg et la politique de laissez-faire en termes de logement, qui laisse tout au privé. Résultat, les prix du logement augmentent constamment et la moitié de la force de travail doit trouver à se loger à l’extérieur des frontières, ce qui donne forcément des trajets plus longs et plus difficiles à gérer (pour les usagers-ères comme pour les autorités). Ces deux éléments sont des choix politiques, et méritent un vrai débat.
Sur le cas français en particulier: Les frontaliers français représentent plus de la moitié des frontaliers, et en ce qui concerne l’axe Metz-Thionville-Luxembourg, la situation est assez désastreuse aux heures de pointe : les autoroutes sont embouteillées, et les trains sont remplis à ras bord. C’est l’axe SNCF le plus fréquenté de France après le RER parisien. Il n’est pas possible de faire du télétravail illimité quand on est frontalier, donc la demande n’a pas baissé. Au contraire, le nombre de frontaliers-ères continue à augmenter, mais les infrastructures vieillissent, les problèmes opérationnels se multiplient, et il manque du personnel pour effectuer de la maintenance sur les trains.Les obstacles ne sont pas insurmontables s’il y a une volonté politique forte pour rendre les transports gratuits.
Le Luxembourg est un petit pays (son bassin d’emploi dépasse ses frontières) très riche, avec seulement cinq réseaux de transport et deux niveaux de pouvoir (le national et le municipal). En 2019, la contribution des recettes des tickets et abonnements n’était que de 8% du budget opérationnel total des transports publics. La situation est assez différente en France ou dans d’autres pays. Cela dit, ces obstacles ne sont pas insurmontables s’il y a une volonté politique derrière : on l’a vu avec la mise en place du ticket à 9€ (puis 49€) sur tous les réseaux en Allemagne. La gratuité est aussi en place dans tout le pays à Malte (voir notre carte de tous les cas dans le monde).
Il faut aussi décider quelles mobilités le collectif va financer : est-ce qu’on rend tous les réseaux gratuits, y compris longue distance, ou seulement les réseaux de proximité et liés aux activités (re-)productives (travail, école, courses) ?
Si vous avez plus de questions sur la gratuité des transports au Luxembourg, n’hésitez pas à contacter l’auteur de cet article.
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